Les noms des lieux oubliés

Jadis, il y a plus de 50 ans, la vie des habitants de Norgeat s’organisait en fonction des saisons. Elle était essentiellement rythmée par les travaux des champs, et l’élevage du bétail. Egalement, chaque famille engraissait un cochon et élevait des volailles et des lapins.
Il était donc vital de cultiver un maximum de terres, y compris les plus éloignées du village, comme celles jouxtant la forêt, voire les sommets de la montagne.
Du village, et aussi loin que portait le regard, on apercevait alentour de vastes zones de prés et champs cultivés, là où de nos jours l’on ne voit plus que bois, friches et broussailles.

Les terres cultivables étaient encore très morcelées en ce temps-là, et chaque famille possédait des parcelles un peu partout, disséminées sur l’ensemble du territoire du village. Chacune portait un nom qui permettait de les situer précisément.
Ainsi, allait-on « faire l’herbe » au Gasèlh, ramasser les patates à Tres Aigos, labourer à Gauson, semer une rangée de petits pois au Pradalas, abattre un frêne au Camp del Plhot, moissonner à Baichè, passer la herse à La Cirareto, charrier du fumier à Lamartino, etc…

Ces noms, pourtant connus de tous, ne figuraient que rarement sur les plans cadastraux (1834 et 1953) de Miglos, qui ne répertorient, par souci de simplification, que de trop grands secteurs. De nos jours, et on ne peut que le déplorer, ils ont quasiment disparu de la mémoire collective.
Quant à ceux repris sur le cadastre de la commune, ils ont été francisés (avec plus ou moins de bonheur) par les cartographes du XIXe siècle, qui ignoraient pratiquement tout du parler local.
Demandez donc aujourd’hui à quelqu’un du village de vous accompagner jusqu’à ces endroits, dont les noms chantent dans la langue de nos aïeux. Rares sont ceux qui sauront vous y conduire.

En partant de ce constat, nous avons souhaité, avec Christian Pujol, faire revivre tous ces endroits qui ont souvent vu nos ancêtres à la peine, courbés sur cette terre trop chiche dont ils tiraient juste de quoi faire vivre leur famille.
Notre démarche s’inscrit également dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine toponymique de cette vallée.
Tous ces noms de lieux sont intimement liés à l’Histoire de Miglos et il serait dommageable qu’ils disparaissent à jamais. A l’origine, ils n’avaient pas été donnés au hasard et chacun avait une signification bien précise. Ces appellations se sont transmises oralement, de génération en génération, et dans la seule langue que l’on parlait ici, le patois. Aussi, la traduction, par des personnes non initiées au parler local, a parfois donné des bizarreries que l’on retrouve sur les cartes de l’IGN, le cadastre ou les actes notariés.

Pour illustrer mon propos, je tiens à faire une petite digression en évoquant le lieu-dit « Vingt-Neuf », près de Baychon, sur la commune de Miglos, que les anciens nommaient « Bintonau » (prononcer Bintonaou), en patois.
Il s‘agit d’un petit plateau, à 780m d’altitude, qui domine le hameau de Baychon. L’endroit est aujourd’hui envahi par des arbres (chênes essentiellement) et des broussailles, ce qui ne devait pas être le cas à une époque lointaine. On n’y trouve de particulier qu’une « borde » en ruine, ainsi qu’une roche, de la hauteur d’un homme, en haut de laquelle est fichée une petite croix en fer. De facture récente, cette dernière a été scellée, l’été 1995, par Robert Carbonne (de Baychon) et son petit-fils Hugues, pour remplacer une ancienne croix, dérobée une vingtaine d’années auparavant.
Mais alors, quel rapport avec « Vingt-Neuf » ?… Aucun évidemment.
Par contre, si l’on analyse plus en détail l’appellation ancienne, « Bintonau », et à la condition de maîtriser suffisamment le patois de cette vallée, on peut parvenir à une tout autre conclusion.
En fait, Bintonau a été traduit littéralement, sans chercher plus avant. Bint veut dire Vingt et Nau (prononcer Naou) signifie Neuf. D’où Vingt-Neuf.
Or, il semble probable, sinon quasi certain, que les premiers cartographes ont mal compris la prononciation du nom de ce lieu-dit, qui, de par sa situation, était particulièrement exposé au vent (Bent) et à la neige (Nèu ; prononcer Nèou).
A mon avis, il s’agirait alors de « Vent et Neige » (« Bent e Nèu »), soit : « Bentenèu », dont la tonalité est très proche de celle de Bintonau, pour peu que la façon d’accentuer ce vocable ne soit pas des plus rigoureuses.
Cette hypothèse me paraît beaucoup plus convaincante, sauf démonstration contraire que l’on pourrait m’opposer.

Dans le même ordre d’idée, on notera qu’un toponyme particulièrement controversé existe également à Norgeat.
Il s’agit du Col de La Léno (sur la carte de l’IGN) ou de La Lénou (sur le cadastre). Louis Pujol et Louis Delpla (historien local et ancien instituteur de Gestiès) ont fort bien expliqué l’origine du nom.
En réalité, on devrait dire de La Lhenho, qui signifie « le bois » (de chauffage). Au temps des seigneurs de Miglos, c’est dans ce secteur que les habitants de la vallée avaient le droit de couper le bois destiné à être brûlé dans l’âtre. (Cf. Site Norgeat – Page « Toponymie : Notes de L. Delpla » – Rubrique « Divers »).

Mais revenons à notre sujet.

A partir du début des années 1980, avec Christian Pujol (et sans nous être concertés au préalable), nous avons commencé à recueillir un maximum d’informations toponymiques auprès des Anciens du village : notre grand-mère Madeleine, Marcel Pujol, Pierre Pujol (père de Christian et mon oncle, dont la connaissance dans ce domaine était reconnue de tous), ou François Salvaing et Henri Pujol. Parallèlement, nous avons étudié les cadastres, plans et documents divers conservés à la mairie de Miglos et aux Archives Départementales de l’Ariège.
Récemment, nous avons décidé de mettre tous ces renseignements en commun, et de dresser une carte du secteur de Norgeat portant tous les noms de lieux, après les avoir répertoriés.

Christian Pujol a fait le plus gros du travail (mais surtout le plus ingrat) en dessinant les 17 plans, au format A4, nécessaires à la réalisation de la carte globale.

Pour orthographier au mieux tous ces noms, nous nous sommes appuyés principalement sur le « Parla de Nourjat » de Louis Pujol (né à Norgeat en 1903). L’intéressé a relaté, dans la langue de nos ancêtres, la vie à Miglos au début du XXe siècle, au travers de quatre ouvrages publiés entre 1966 et 1980 : Fialutos e Fiutarols, Countes de las Agals, Miclos – A las Aurièros del tems Bièlh, Les Janirets.
Les puristes y trouveront certainement quelques anomalies, mais Louis Pujol a eu le grand mérite de codifier ce patois. Et lorsqu’on a la chance de savoir lire ses récits à haute voix, on croit entendre mais aussi comprendre parfaitement le parler de nos grands-parents.

En conclusion, nous pensons avoir recensé la plupart des noms que nos lointains aïeux avaient attribués aux terres de Norgeat. Soit 189 noms au total, dont 84 (repérés par « PSC » dans la dernière colonne du Listing des Noms de Lieux) qui ne figurent pas sur les documents officiels actuels et étaient voués à disparaître. Ce faisant, nous espérons que notre initiative les aura sauvés d’un oubli définitif.

Afin de pouvoir localiser aisément tous ces toponymes, nous les avons implantés sur une carte du secteur géographique du village. Ils sont également repris sur un listing alphabétique et chacun est associé à des coordonnées (la lettre V est affectée au Village de Norgeat proprement dit) permettant de les situer sur le plan de Christian Pujol. Par ailleurs, les noms figurant sur le cadastre actuel de la commune de Miglos ont été transcrits tels quels, pour tenir compte de la terminologie officielle, dans une colonne spécifique.

Ci- après :

Merci à François Gardes, Léa Fauré et René Gardes, qui nous ont aidés à bien situer certains lieux. Merci également à Joël Gardes de son aide pour la réalisation technique du document annexe principal.