Epidémie de choléra de 1854 à Miglos
L’épidémie de choléra qui ravagea notre contrée au milieu du XIXe siècle est restée gravée dans les mémoires.
En 1854, ce terrible fléau a décimé la Haute Ariège, trouvant un terrain particulièrement favorable pour une propagation rapide.
D’aucuns ont suggéré que le choléra avait été ramenée d’Orient, par nos soldats de retour de la guerre de Crimée.
Il est sans doute bon de rappeler que Napoléon III et l’Angleterre ont déclaré la guerre à la Russie le 25 Mars 1854. La victoire de l’Alma (Septembre 1854) permit aux alliés de mettre le siège devant Sébastopol, en Crimée, qui tomba en Septembre 1855…
De plus, comme le signale fort justement Marcel Boussioux, dans son « Histoire de l’Ariège » (chez Edit. Lacour – Nîmes – 1999) : « En 1849 le choléra avait déjà fait de nombreuses victimes en Ariège. Le village de Larcat perdit 115 habitants sur 771, Larnat 75 sur 108; Ax, Tarascon…perdirent 10% de leur population, Les Cabannes 16%. Le préfet, Eugène de Bero, qui venait juste de prendre ses fonctions, fut emporté par la maladie« .
Ceci confirme bien que le choléra était alors une maladie endémique du Midi de la France, où elle était apparue, à Marseille, au début des années 1830.
Lorsque arrive l’année 1854, les populations de notre région sont fragilisées par des disettes successives, dues à de maigres récoltes plusieurs années durant (mauvaises conditions climatiques, faible rendement des céréales et maladie de la pomme de terre, notamment en 1845 et 1850). Beaucoup de gens sont dans la misère et souffrent de malnutrition. Dans nos villages de montagne, trop souvent insalubres, les habitants vivent dans des conditions d’hygiène déplorables (à Miglos, on boit encore l’eau du ruisseau, à cette époque).
Avec l’arrivée de l’été, la sécheresse s’installe et favorise encore plus la progression de l’épidémie. Au mois d’Août, elle atteint la vallée du Vicdessos, où elle sèmera la désolation jusqu’à la fin Novembre.
La commune de Miglos a été la plus durement touchée par l’épidémie, et perdra plus de 18% de sa population. Ainsi, au recensement de 1851, Miglos comptait 1305 habitants, mais on n’en dénombrait plus que 1037 en 1856.
Sur l’ensemble de l’année 1854, on a enregistré 32 naissances, 6 mariages et 260 décès.
Selon les registres de l’Etat-civil officiel, on a dénombré 234 victimes, entre le 3 Septembre et le 22 Octobre 1854 (soit 194 en Septembre et 40 en Octobre). Les 3 décès suivants, entre le 21 et le 23 Novembre, ne sont pas forcément liés au choléra, qui disparaît de la contrée avec l’arrivée de l’hiver.
Pour la même période de référence, les registres des paroisses de Miglos et de Norgeat (conservés aux Archives de l’Evêché de Pamiers), ne font état que de 207 inhumations : 169 en Septembre et 38 en Octobre.
Cette différence s’explique :
Toutes les victimes n’ont pas été inhumées avec le secours de l’église. Peut-être existait-il quelques familles athées, mais, plus probablement, plusieurs morts ont été enterrés à la hâte, et sans la bénédiction du prêtre, dans les trois fosses communes creusées sur la place d’Arquizat, au plus fort de l’épidémie. Parmi ces victimes, certaines n’ont pas été comptabilisés.
Le 12 Septembre, le curé Pierre Maurice Maury écrit au préfet, pour lui demander d’intervenir auprès du maire (Jacques Bacou), car il n’est plus possible de procéder à de nouvelles sépultures dans le cimetière du village, jouxtant l’église.
Il est donc impératif de trouver un terrain pour y installer un nouveau cimetière.
Parfois aussi, les gens doivent enterrer eux-mêmes leurs morts, comme indiqué dans le rapport de la gendarmerie de Vicdessos, adressé au préfet le 17 Septembre. « Aucun médecin ne visite cette commune, de sorte que les habitants meurent sans le moindre soin. Mr le maire de cette localité est malade, le garde-champêtre et le fossoyeur le sont aussi, n’ayant donc personne à la tête, les parents eux-mêmes sont obligés d’hinumer (inhumer) les auteurs de leurs jours, quelle que soit leur affliction et l’état de leur santé« .
D’autres divergences non négligeables apparaissent également en comparant les données de l’état-civil officiel et celles des registres paroissiaux.
Elles portent sur :
– Les dates des décès (et ceci, indépendamment du fait que les prêtres notaient le jour de l’inhumation et non du décès).
En pleine épidémie, l’enregistrement des décès n’a pas toujours été effectué au jour le jour, ce qui ne peut qu’être source d’erreurs. Le maire est d’ailleurs malade, et pour les habitants valides des divers villages de la commune, en plein désarroi, on comprend aisément que les formalités administratives devaient passer au second plan.
La peur d’être contaminé, en se rendant à Arquizat, était aussi bien réelle, et en particulier pour les habitants de Norgeat, qui n’étaient pas obligés de quitter leur village pour enterrer leurs morts.
– Les prénoms et l’âge des défunts.
Le curé ne faisait que transcrire les indications qui lui étaient fournies au moment de la cérémonie religieuse.
Moyennant quoi, même si l’on peut considérer que les dates d’enterrement enregistrées sont sans doute exactes, 20 personnes dont l’identité figure sur les registres paroissiaux, ne se retrouvent pas sur l’état-civil officiel; soit : 16 pour Miglos et 4 pour Norgeat.
Pour ce qui est de répartir les victimes par section géographique, ce n’est guère possible non plus. En effet, sur les registres, on ne trouve que la mention « demeurant à Miglos« .
En fait, on ne peut essayer de déterminer le lieu de résidence des gens, qu’à partir du nom de famille et surtout du sobriquet. Malheureusement, pour les surnoms, bon nombre ont disparu depuis longtemps déjà. Seuls les habitants de Norgeat sont pour la plupart identifiables, grâce au registre (Baptêmes, mariages et décès) tenu par le curé Bedel.
On peut aisément mesurer l’ampleur de la catastrophe causée par l’épidémie sur le secteur, et le désarroi profond dans lequel se trouvent les habitants, à la lecture des rapports de détresse adressés au préfet, Joseph Piétri.
Ceux concernant Miglos (conservés aux Archives Départementales de l’Ariège), émanent du curé (P-M. Maury), les 5 & 12 septembre; du maire (J. Bacou – avant qu’il ne tombe malade), le 9 Septembre; du commandant de Police de Tarascon et de la gendarmerie de Vicdessos, le 17 Septembre; et même du maire de Capoulet, le 24 Septembre, où l’on relève : « A Miglos, depuis six jours l’épidémie a fait d’effrayants progrès. La plupart des cas ont été foudroyants et les malades privés de tout secours ont succombé en quelques heures ».
Dans ces divers documents, on notera qu’il n’est fait état que de Miglos (ainsi désignait-on le village d’Arquizat), où se trouvait le petit cimetière commun aux villages d’Arquizat, Baychon, Norrat et Axiat (soit plus des 2/3 de la population de la commune).
Norgeat, érigé en paroisse quelques années auparavant, était doté de son propre cimetière.
Faute de place, et dès les premiers jours de l’épidémie, il n’a plus été possible de procéder aux inhumations dans le cimetière d’Arquizat.
Il y avait donc urgence à trouver un autre lieu de sépulture (comme réclamé dès le début par le curé), ce qui devait permettre, également, de creuser des tombes à la profondeur règlementaire, afin de limiter les risques de propagation des maladies. D’où l’intérêt porté à cette affaire par les autorités départementales, qui semblent avoir négligé d’envoyer leurs émissaires dans les autres villages de la commune, et notamment à Norgeat, pourtant le plus peuplé.
En fait, le nouveau cimetière, situé au lieu-dit « Las Salinos » (son emplacement actuel), n’entrera en fonction que l’année suivante.
Sur l’ensemble de la commune de Miglos, le « 1er cholérique« , comme noté sur l’acte de décès n°22 de l’état-civil, a été le nommé Jean-Baptiste Gardes dit Chantré, du village d’Arquizat, décédé le 3 Septembre à 9 heures.
Marie Cazals, épouse Marfaing Tounre (de Norgeat), clôture la longue liste des victimes, le 22 Octobre (acte n° 255).
Concernant le village de Norgeat, seules les archives ecclésiastiques de cette ancienne paroisse (conservées à l’Evêché de Pamiers, ainsi qu’à la cure de Tarascon pour les registres de baptêmes, mariages et décès) nous permettent de dresser un état des lieux, sans doute assez proche de la réalité.
Ainsi, pour la période concernée, 56 décès ont été enregistrés. Cependant, quelques cas, très rares malgré tout, n’étaient peut-être pas dus au choléra.
La première victime, le 10 Septembre, a été Jean Cazals Moundille : « l’an 1854 et le 10 7.bre (Septembre), est mort et a été inhumé, par moi soussigné (Théodose Bedel), Jean Cazals Moudille, à l’âge de 78 ans« .
Ce même jour a également été inhumé « Gabriel, un enfant de l’hospice de Toulouse – âgé de 2 ans« . Il n’était pas rare, à l’époque, que des familles d’accueil élèvent un enfant de l’Assistance Publique, ce qui leur apportait un complément de revenus toujours appréciable.
A Norgeat, la dernière inhumation qui parait être imputable au choléra a eu lieu le 22 Octobre. Il s’agissait de Marie Cazals, épouse Marfaing Tounre, âgée de 56 ans (sur le registre de la mairie on relève 49 ans).
Le curé Bedel, a sans doute rendu compte à sa hiérarchie du désastre provoqué par cette épidémie. Malheureusement, il n’y en a plus trace aux Archives diocésaines de Pamiers. Toutefois, il en est fait brièvement état dans le « Registre de la Paroisse de Norgeat« , sur lequel le prêtre consignait les évènements importants survenus dans le village, à savoir :
» L’an 1854 le coléra a fait périr à Norgeat 50 personnes dont 18 enfants en bas age« .
Il s’agit là de la seule mention inscrite sur le registre pour l’année en question.
A signaler également que lors de l’épidémie le Bureau de Bienfaisance de Miglos a pu venir en aide aux plus nécessiteux, grâce aux deux secours exceptionnels obtenus de l’Etat (100, puis 130 francs).
Cet argent a permis d’aider plusieurs familles pauvres qui n’avaient pas les moyens de régler les frais d’inhumation de leur(s) proche(s).
Plusieurs artisans ont ainsi été payés par ce biais :
- « Le Penchenaïre, pour avoir fait 4 cercueils = 4,25 francs;
- Cazimir Gardes Pavillon (de Norgeat), pour avoir fait des cercueils = 16 francs;
- Hilaire Jalbert, pour avoir fait des fosses = 5,50 francs« .
(Cf. Le Bureau de Bienfaisance de Miglos – Andrée Cantelaube).
G.L. Mars 2010
Dernière mise à jour : Septembre 2022