Les Moissons à Norgeat : Garbarous et Gaudufous.

Il y a une cinquantaine d’années, Norgeat connaissait encore une certaine activité agricole.

Les habitants du village travaillaient alors la quasi-totalité des champs alentours, où, indépendamment des légumes dans les potagers, on cultivait principalement des pommes de terre et des céréales, telles maïs, blé, seigle, avoine et sarrasin.

En comparant les vues aériennes de Norgeat prises en 1960 et 2017 (source IGN) on peut se faire une idée précise de l’importance des zones cultivées et des prés, autour de ce village, au milieu du XXe siècle. De nos jours, les bois ont tout envahi.

L’époque des Moissons, qui faisait immédiatement suite à la fenaison, se situait au cœur de l’été, entre fin Juillet et mi-Août.
Dès que les blés étaient mûrs (le seigle étant souvent le plus précoce), il fallait rapidement les moissonner et faire sécher convenablement les épis avant de pouvoir dépiquer, par la suite, quand la batteuse (on en comptait 3 à Norgeat dans les années 1950) serait libre.

Pour mener à bien cette rude tâche tous les bras étaient mobilisés.
Il n’y avait pas de moissonneuse-batteuse à Miglos. Et, d’ailleurs, une machine de ce type n’aurait pas pu être utilisée, car la plupart des terrains sont en pente et la superficie des parcelles travaillées était trop peu importante.

Les blés étaient donc coupés à la faucille (plus rarement avec une faux munie d’un accessoire permettant de les rabattre au sol aisément) et les tiges alignées à terre, en javelles.
Puis, on confectionnait des gerbes en attachant les javelles avec un lien de paille tressée.

Ces gerbes, par groupes d’une dizaine, étaient ensuite dressées, (en bout de champ ou en ligne), épis vers le haut, pour former des « constructions » assez originales, les Moyettes (d’un terme du vieux français signifiant « meule« ), qui permettaient au grain de sécher (tout en étant protégé des éléments et de la gent ailée), pendant plusieurs jours et jusqu’au moment d’être ramenées sur l’aire prévue pour le battage.

A Miglos, on appelait ce genre de meules les Garbarous ou Capuls.
Si on n’en voit plus de nos jours, et ce depuis la fin des années 1970, certaines photos ou cartes postales de l’époque nous montrent à quoi ressemblaient les fameux Garbarous.

A y regarder de plus près on devine qu’il fallait une certaine habitude et un vrai tour de main pour parvenir à exécuter un tel travail, tout en évitant de gâcher trop d’épis.

Incapable de rassembler dans le détail et de traduire correctement mes souvenirs d’antan en la matière (enfant, j’accompagnais souvent ma grand-mère aux champs), j’avais sollicité, il y a quelques années, l’un des derniers « Anciens » du village (la « mémoire du temps jadis« ) qui pouvait encore me renseigner précisément, pour avoir lui-même très souvent moissonné et érigé quantité de « Garbarous« .
Henri PUJOL del Moua a alors rédigé une véritable notice technique sur « la Confection d’un Garbarou« , qu’il m’a adressée en Décembre 2011.

Aujourd’hui, il me semble judicieux de ne pas laisser un tel document dans l’oubli.

Aussi, comme il n’est guère possible de le résumer sans le dénaturer, ou de donner une meilleure description que son auteur, j’ai choisi de le reproduire dans son intégralité. Cf. ci-après.

Je ne saurais clore ce chapitre des Moissons, sans signaler une particularité concernant le Sarrasin, plus communément appelé « Blé noir » (à cause de la couleur de ses grains) et « Gabach » dans le parler local.

Avec cette céréale (qui ne ressemble pas aux autres : hautes tiges noueuses rouges, feuilles vertes, petites fleurs blanches, et pas d’épis mais des petits amas d’une dizaine à une vingtaine de grains gris sombres de forme pyramidale), il n’était pas possible de faire des Garbarous.

Une fois le « Gabach » coupé (à la faucille, comme les blés…) et mis en javelles, les moissonneurs (les « Segaïres« ) confectionnaient des gerbes différentes de celles décrites par Henri Pujol.

Le lien végétal était placé juste en dessous de la partie des tiges portant les grains, ce qui donnait des gerbes beaucoup plus étroites en haut, et de forme conique.

Ensuite, les gerbes étaient dressées sur le chaume (le « Restoulh« ), accolées généralement par deux ou trois, le temps qu’elles sèchent.
On appelait cela des « Gaudufous« .

Les « Gaudufous » ne se dressent plus dans les champs de Norgeat depuis la fin des années 1950, époque où l’on a cessé de cultiver le sarrasin.

G.L. – Mars 2018


Confection d’un GARBAROU (appelé aussi CAPUL).

Reproduction in extenso du texte adressé par Henri PUJOL à Gérard LAFUENTE. – (Décembre 2011).

 » Pour confectionner un GARBAROU, le nombre de gerbes était variable ; il dépendait de la grosseur des gerbes, leur quantité, ou d’autres facteurs tels que la pente … ou l’humeur du moissonneur !

A la moisson, le blé, le seigle, l’avoine (bref les céréales) étaient disposés à plat sur le sol, en rangs serrés, le fond, c’est-à-dire le côté paille à gauche, l’épi à droite. Cela s’appelait la Gabèlho (la Javelle). Le soir même, le lendemain ou plus tard, on faisait les gerbes, en commençant toujours par le bas et à droite du champ, ayant ainsi et toujours la paille à gauche, l’épi à droite.

Ces gerbes étaient attachées par un lien, en patois la Lío.
Voici comment :
Le lieur prenait une poignée de tiges de blé (paille et épis) dans sa main gauche, juste sous les épis, en dirigeant les épis vers le haut et la paille vers le bas.
Da sa main droite il lissait de haut en bas, à trois ou quatre reprises, cette poignée de blé, puis il la calait sous son bras gauche, au niveau de l’aisselle, la paille se trouvant derrière, les épis devant.
A cinq ou six reprises il tordait cette poignée de paille juste au-dessous des épis. Puis sans rien lâcher et très vite, il inversait son petit paquet, épis sous le bras, paille devant, ce qui lui permettait d’ouvrir en deux parts égales la paille jusqu’à hauteur de la torsade. Il obtenait ainsi une Lío dont le centre était les épis. Bien sûr d’autres détails existent, mais seule une longue pratique permettrait de les comprendre et surtout de les appliquer.

Revenons au Garbarou.
Pour le monter on commençait par assembler dans le même sens trois gerbes disposées comme suit : deux à même le sol, la troisième au-dessus et au centre, mais légèrement décalée vers le haut si le champ était en pente, ce qui était généralement le cas d’ailleurs.
Ces trois gerbes étaient attachées (liées) ensemble juste sous l’épi par la fameuse Lío décrite supra.

Donc les trois gerbes – laï Garbos – sont assemblées, elles vont constituer l’épine dorsale du futur Garbarou. Pour cela elles sont quillées en trépied, paille en bas, bien sûr, épis vers le haut et le pied raccourci positionné côté haut de l’éventuelle pente.
Dès lors il suffisait d’habiller cette colonne vertébrale en quillant, toujours dans le même sens, autant de gerbes qu’il était nécessaire. Précision étant faite ici que l’on commençait toujours par le bas et que l’on positionnait le nœud du lien de chaque gerbe à l’intérieur du Garbarou. Le nombre importait peu et il fallait habiller, mettre le maximum de gerbes ensemble, mais aussi et surtout assurer la solidité de l’édifice.
De plus, sache que le moissonneur quel qu’il ait été, savait, « à l’œil », à l’instar des vieux bergers et des vieux pâtres, la quantité de gerbes qu’il avait à quiller. Et il travaillait avec ce renseignement imprimé en lui. Néanmoins, on peut dire qu’il y avait, hors chapeau, entre dix et douze gerbes par Garbarou.
Leur disposition est facile à deviner puisqu’elles étaient disposées autour d’une base en forme de trépied. Le haut, côté épis, était resserré et consolidé en joignant les gerbes les unes aux autres, par saut de deux ou trois. Pour cela, même système, pas de ficelle : une poignée de paille à droite, liée avec une poignée de paille à gauche.

Le chapeau maintenant :
Une gerbe était toujours réservée pour lui; la plus grosse avec la paille la plus longue.
On prenait cette gerbe, on mettait un genou à terre et la gerbe était mise quille en bas, épis vers le haut, ensuite on rabattait en éventail la paille en la pliant au ras du lien. Puis on chapeautait le Garbarou, en s’appliquant de bien lisser la paille pour protéger, icelui, du soleil, de la pluie… et des oiseaux. Puis ce chapeau était lié au Garbarou par le même système que dessus. Paille d’en haut à paille d’en bas.
Et ce chapeau avait un nom, on l’appelait le Capul.
De là, par déclinaison, personne ne disait : dans tel champ j’ai tant de Garbarous ; il disait : à Planel, par exemple, j’ai x… Capuls.

Voilà, la Chanson du Garbarou est finie. »

Henri PUJOL del Moua, nous a quittés en Janvier 2016, à l’âge de 87 ans, et repose dans le petit cimetière de Norgeat-Miglos, son village natal.
Il était le neveu de Louis PUJOL (1903/1996), poète et romancier, natif lui aussi de Norgeat, dont il est souvent fait état sur ce site.