Surnoms & Sobriquets
Lorsque ma grand-mère parlait des gens du village, et en particulier de ceux de sa génération, elle ne les désignait jamais par leur nom propre.
Ainsi, disait-elle (dans sa langue maternelle, le patois parlé à Miglos) :
Pabilhoun, Lacazo, Mouret, Malubèrt, Le Buraïre, Le Moua, Le Pradenc, Labicho, Ratouè, Ziou , Le Ranc, Le Russo, Mounoï, et tant d’autres….
Ces surnoms et ces sobriquets, connus de tous, suffisaient pour savoir à quelle personne ou à quelle famille on faisait référence, parmi celles portant un même patronyme.
L’usage des surnoms est apparu très tôt et, à partir du XVe siècle, il s’est avéré indispensable, au fur et à mesure de la croissance de la population. Pour Miglos, celle-ci est passée de 700 habitants en 1670, à 1504 en 1841, pour retomber à 769 en 1901 et 107 en 2007. (Cf. page « Population Norgeat 1841 – 2007 » – C. Pujol).
Dans nos villages, et jusqu’au début du XXe siècle, on trouvait profusion de patronymes identiques. Quant aux prénoms en usage, ils n’étaient guère très variés non plus, ce qui ne facilitait pas l’identification des personnes portant un même nom. À Norgeat, on comptait notamment bon nombre de familles PUJOL et GABARRE.
À noter que ces deux noms sont très anciens dans la vallée. Ils figurent dès 1309 (Ramundus Pujol et Gabarra Arnaldus) et 1320 (Bernardus Pujol et Ramundus Gavarra), dans le Cartulaire de Miglos (Archives Départementales Ariège – E.87).
Le surnom suit le patronyme officiel et sert de deuxième nom propre. Il se transmet sur plusieurs générations. Il permettait de différencier les frères et sœurs d’une même lignée, dès lors qu’ils fondaient, à leur tour, une famille.
Un jeune-homme qui se mariait et s’installait chez ses beaux-parents se voyait attribuer le surnom de la famille de sa femme. La jeune-fille qui entrait dans une famille comme bru prenait le surnom de son mari. Et quand un jeune couple s’installait dans sa propre maison, un nouveau surnom lui était donné et allait suivre sa descendance.
La généralisation du surnom a conféré à celui-ci un caractère officiel.
Nom et surnom accolés formaient ainsi un vrai patronyme, qui était porté sur les registres de l’état-civil et sur la plupart des documents de la vie courante.
On gravait également le surnom sur les pierres tombales des cimetières. D’ailleurs, quand on pénètre dans celui de Norgeat, on remarque toujours ces inscriptions, qui figurent aussi sur certains caveaux modernes. À titre d’exemple : « Pujol Matouille, Pujol Janiret del Moua, Gabarre La Liberté, Gabarre Ferré, Crastes Malubert, Salvaing Prat, Fadel Peyre, Gabarre Clic …. ».
Il en est de même sur le Monument aux Morts, pour les victimes de la Guerre de 1914/1918.
Les notaires, eux aussi, faisaient figurer le surnom dans les minutes qu’ils rédigeaient (contrats de mariage, successions, achats, ventes …etc…), généralement sous la forme : » X (prénom + nom)…. dit ….. Y (surnom) « .
C’est d’ailleurs par un acte du notaire VIC Jean-Baptiste Alexis, en date du 23 Novembre 1833 (Archives Départementales Ariège – 5 E. 5896), que nous connaissons les surnoms de bon nombre de familles Norgeatoises au milieu du XIXe. À cette époque, la population est très proche du pic atteint en 1841, et le village compte près de 500 habitants. L’usage des surnoms est alors une nécessité.
L’acte en question, n°331, concerne la vente de la Forêt de Norgeat, (superficie 350 hectares – prix 20 000 francs) faite par Dame Jeanne Françoise De Montault-Miglos, épouse du baron Jean-Louis Hyacinthe De Vendomois, aux habitants de Norgeat.
Reproduction partielle du document (page 1 à 4) .
À l’examen de ce document, on remarque que 17 patronymes seulement permettent de désigner l’ensemble des 59 chefs de famille repris sur l’acte ; par contre, pour différencier ces derniers, 29 surnoms différents sont nécessaires
Notons qu’il est d’ailleurs possible d’obtenir les mêmes informations pour les autres villages de la commune de Miglos, en consultant l’acte n°334 du 23/11/1833, qui concerne la vente de la forêt de « Naillan ». – (Archives Départementales Ariège – 5 E.5896).
Un autre document important, daté du 9 Juillet 1841, permet de compléter cette première liste de Surnoms. Il s’agit de « l’État Nominatif des Habitants de la Commune de Miglos« , établi par le maire de l’époque: Bacou Jacques.
Miglos comptait alors 1504 habitants, dont 519 à Norgeat répartis sur 86 foyers. On y relève 23 patronymes et 52 surnoms différents. Pour chaque foyer, on trouve les « noms (le patronyme est suivi du surnom), prénoms, liens de parenté, professions et état-civil » (dégroupé par sexe, avec indications : « garçons, hommes mariés, veufs » et « filles, femmes mariées, veuves »). – (Cf. Archives Municipales Miglos).
Photo de la page de couverture
À signaler que dans les documents officiels, même très anciens, les surnoms sont généralement francisés, alors que jusque fin XIXe /tout début XXe siècles, les habitants de la vallée ne parlaient pour la plupart (ou même ne comprenaient) que leur langue maternelle, le patois. Le français étant obligatoire pour tous les actes administratifs et de justice, depuis l’Ordonnance royale de Villers-Cotterêts édictée en 1539 par François 1er, on peut comprendre aisément les difficultés de traduction auxquelles étaient confrontés les rédacteurs de ces documents.
Ceci explique les bizarreries, que l’on trouve sur l’état-civil ou les actes notariés, relatives à la façon dont sont orthographiés bon nombre de noms et surnoms. À titre d’exemple, on relève : Salven ou Salvin mis pour Salvaing.
Autre information intéressante : l’acte de vente de la forêt de Miglos, en 1833, nous donne également un éclairage sur la « richesse » de la population Norgeatoise. Seules 59 familles ont pu acquérir une parcelle de bois, et, si l’on se réfère aux 86 foyers recensés 8 ans plus tard (1841), on peut considérer qu’environ 25 familles n’avaient pas eu les moyens de le faire.
Patronymes et Surnoms cités dans l’acte de 1833
Patronymes et Surnoms cités dans le document de 1841
Depuis le milieu du XXe siècle, le surnom n’est quasiment plus utilisé. Du fait d’une dépopulation massive et rapide, qui va toucher tous nos villages de montagne, surtout après la Première Guerre Mondiale, les noms propres identiques sont devenus rares. Miglos n’échappe pas à la règle.
Par contre, le sobriquet par lequel on désignait aussi certains habitants n’a pas totalement disparu. Celui-ci, souvent fantaisiste, parfois moqueur (il peut rappeler un travers, un tic, une infirmité…), n’est attribué qu’à une seule personne et disparaît avec elle.
On notera également, à titre indicatif, que pour ce qui concerne les noms de famille, l’Annuaire téléphonique de 2013, ne reprend plus à Norgeat que 5 patronymes anciens : Esquirol, Fauré, Gabarre, Gardes et Pujol.
Sobriquets utilisés à Norgeat durant la période 1850/1950
Cette modeste étude ne saurait être pleinement satisfaisante sans l’apport essentiel du patient et méthodique travail d’investigation réalisé par Christian Pujol, dont on connaît la passion pour les recherches généalogiques sur le Pays de Miglos.
Afin de nous aider à mieux comprendre, et à bien faire le lien entre Noms, Surnoms et Sobriquets, notre spécialiste a dressé, sous forme de Tableaux (au nombre de 23) établis par Patronyme, la remarquable synthèse présentée ci-après.
G. Lafuente.
Décembre 2013.
Synthèse Patronymique – Légende :
R : Recensement – N : Acte Naissance – D : Acte Décès – M : Acte Mariage – C : Contrat Mariage – A : Autres (Actes notariés divers, Livres de Louis Pujol, Transmission orale, Divers…).
À noter que tous les noms sont retranscrits tels que sur le document dont la date est citée en colonne « Notes », ou tels que sur les écrits de Louis Pujol (dont il est fréquemment question sur ce site).